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Introduction : stratégies et dynamiques au Niger face aux contraintes environnementales

Alain Bonnassieux
p. 101-113

Texte intégral

Mes remerciements à Odile Chapuis pour la relecture minutieuse des différents articles de ce dossier sur le Niger et à François Bart, professeur émérite de géographie pour son soutien.

1Le Niger est un pays sahélien à l’écosystème fragile, désertique aux deux tiers, où les zones agricoles sont concentrées dans la partie méridionale du territoire. À cause de l’insuffisance et de l’irrégularité de la pluviométrie, de la fertilité réduite et de la dégradation d’une grande partie des terres cultivables dans des milieux ruraux où la croissance démographique est élevée, les cultures pluviales, mil principalement, ne permettent de nourrir la majorité des ménages que quelques mois de l’année. Pour faire face aux contraintes environnementales et aux problèmes de subsistance, les logiques spatiales privilégiées dans les stratégies des populations diffèrent de celles sur lesquelles se fonde l’action des services de l’État.

2Dans les régions sahéliennes, des échanges ont lieu depuis longtemps entre des villages et les populations situés dans des zones disposant de potentialités différentes pour assurer la subsistance et faire face à l’insuffisance et à l’irrégularité chronique des productions locales. Les réseaux marchands qui transgressent les limites des États-nations et des régions administratives jouent un rôle très important dans l’établissement de ces complémentarités. La circulation dans un espace élargi est plus importante que l’ancrage territorial pour limiter les contraintes et parvenir à un équilibre. La mobilité et les liens tissés entre différents terroirs constituent les caractéristiques principales du modèle sahélien de l’espace (Walther et Retaillé, 2008).

3À l’inverse, les approches des fonctionnaires et des techniciens du développement sont liées aux modalités de construction des territoires des États et des projets. L’espace est découpé entre différentes zones pour accroître les productions par l’irrigation, la diversification des cultures, l’amélioration de la fertilité des sols. Leurs stratégies sont centrées sur la production et l’espace de production (ibid.). Elles négligent le rôle exercé dans les stratégies de subsistance par les circulations, les échanges entre différentes zones. Les limites territoriales qu’elles instituent pour promouvoir leurs stratégies de développement les restreignent.

Les politiques publiques sur le plan alimentaire au cœur des enjeux de pouvoir

4La question du choix des différentes approches de l’espace à privilégier par rapport aux options en matière d’action publique se pose donc avec acuité pour faire face à l’insécurité alimentaire. L’analyse des crises alimentaires au Niger depuis 1970 montre qu’elles sont provoquées par des facteurs structurels – croissance démographique élevée, accès insuffisant à l’eau et au foncier, augmentation de la pauvreté, faible évolution des systèmes de production – et conjoncturels – insuffisance de la pluviométrie, attaques de prédateurs, entraves aux échanges (Alpha Gado, 2010). L’impact de ces facteurs varie en fonction des périodes, des crises et de la réponse apportées par les hommes politiques (Crombé & Jézéquel, 2007). La capacité des autorités à en faire une analyse permettant la prise de mesures appropriées pour assurer la sécurité alimentaire contribue à asseoir leur légitimité. Les modes de gestion des crises alimentaires constituent des enjeux importants dans les confrontations entre pouvoir et opposition. Bien que la dépendance du Niger vis-à-vis des ressources fournies par les partenaires techniques et financiers réduise son autonomie, ils sont aussi l’occasion pour les régimes en place d’affirmer la souveraineté de l’État par rapport aux structures de la coopération internationale (Amadou, 2010).

5Les choix qui sont faits pour assurer la subsistance contribuent au renforcement du rôle de certains acteurs par rapport à d’autres. Ainsi, lorsque dans le cadre des programmes d’ajustement structurel, le Niger a été contraint dans le courant des années 1980 de privilégier l’option de sécurité alimentaire par rapport à celle d’autosuffisance alimentaire, les monopoles de commercialisation alloués auparavant aux entreprises publiques ont été supprimés, les prix ont été libéralisés et un rôle important a été conféré au marché international dans la satisfaction des besoins alimentaires des populations. Les réseaux de commerçants haoussa se sont étoffés pour approvisionner les régions traditionnellement déficitaires du Niger (Grégoire, 1993). Le commerce transfrontalier avec le Nigeria, permettant de pallier l’insuffisance des récoltes céréalières, a pris de l’ampleur. Les liens entre les marchands nigériens et leurs homologues nigérians se sont renforcés pour acheter du mil sur les marchés du Nord Nigeria et vendre le niébé produit au Niger. Le manque de soutien aux productions locales à la suite de la remise en cause de la philosophie de l’autosuffisance et les dysfonctionnements des échanges transfrontaliers ont favorisé un recours souvent massif à l’aide alimentaire pour endiguer les crises (Alpha Gado, 2010). Le rôle des ONG internationales, dont les activités ont été très médiatisées à ces périodes, s’est accru dans la gestion des problèmes alimentaires.

Migrations et diversification des productions : les principales réponses des populations

6Parmi les stratégies des populations pour faire face aux contraintes climatiques et environnementales, les migrations constituent l’une des principales adaptations (Mounkaila, 2010). L’exode, pendant la saison sèche, des jeunes hommes vers plusieurs pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, les villes ou les régions mieux dotées du Niger, permet d’économiser des vivres. Les ressources monétaires transmises par les migrants sont utilisées pour acheter des vivres sur les marchés locaux, pour renforcer les capacités de production. Leurs différents apports permettent de continuer à vivre dans des territoires qui ne disposent que de potentialités limitées (Boyer et Mounkaila, 2010). Lors de la crise alimentaire de 2005, les aides fournies par les migrants dans la région de Tahoua ont exercé un rôle plus important dans la survie des habitants que celles des services de l’État et des ONG (Oumarou, 2008). Mais depuis les années 1980, à cause de la détérioration de l’environnement économique et de l’accentuation de la pauvreté et des inégalités dans les villes nigériennes, la recherche d’activités en milieu urbain permettant aux migrants de subsister et d’aider leurs parents dans les zones rurales se pose avec plus d’acuité. À Niamey, la poursuite des migrations dans ce contexte a entraîné une multiplication des quartiers spontanés constitués d’habitations en banco très sommaires et de paillotes où les conditions de vie sont très précaires (Motcho, 2010). Leur implantation courante dans les périphéries urbaines éloignées des quartiers centraux où sont concentrées les activités économiques ainsi que dans des zones où les risques sont élevés à cause des inondations fréquentes ou des menaces de déguerpissement accroît la vulnérabilité des migrants qui y résident. Du fait de la position charnière occupée par le Niger entre l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et la Lybie, les migrations de transit des Subsahariens y sont très importantes. Ces mouvements sont le fait de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale mais aussi de Nigériens. Ils se situent dans la continuité des mouvements migratoires qui ont eu lieu vers ces régions depuis le milieu du xxe siècle à la suite des sécheresses et des guerres (Brachet et al., 2011). Ces flux se sont amplifiés depuis les années 1990 avec l’augmentation des tentatives de migrations vers l’Europe. Ils contribuent à la croissance des villes-étapes, comme Agadez, situées à la périphérie des territoires nationaux et bien positionnées sur les axes empruntés par les migrants. La grande cité de l’Aïr, dont l’économie déclinait en raison des troubles causés par la rébellion touarègue et le sous-équipement du Nord du pays, a connu un regain d’activités.

7De nombreuses initiatives sont prises par les sociétés rurales pour faire face aux défis auxquels elles sont confrontées (Luxereau, 2014). L’évolution des représentations de la nature favorise la mise en valeur d’espaces longtemps délaissés, comme les bas-fonds de plus en plus convoités pour le maraîchage. Des espaces agricoles dégradés sont reboisés dans l’Ader et dans la région de Zinder. On assiste au développement de l’arboriculture et de l’activité des pépiniéristes. Les actions de restauration des sols entreprises avec l’appui de projets dans certaines zones permettent un recouvrement de leur fertilité. L’implication des organisations paysannes dans la gestion des aménagements hydro-agricoles en bordure du fleuve Niger a entraîné une amélioration des rendements rizicoles et de leur mise en valeur. Les productions agricoles, oignon, produits maraîchers, sésame, souchet, qui font l’objet d’une demande importante sur le plan national et dans les pays de la sous-région, progressent. La modernisation des pratiques techniques, le développement de la petite irrigation, l’existence de réseaux commerciaux bien structurés favorisent leur développement. Dans les régions concernées, l’exode rural diminue. Les revenus issus des productions commercialisées sont utilisés pour acheter des vivres, améliorer l’équipement, accroître le cheptel. Mais, l’expansion de certaines spéculations s’accompagne d’une augmentation des différenciations sociales et d’accès au foncier. Les terres de bonne qualité se raréfient à cause de la saturation foncière (Waziri Mato, 2014).

8La portée de ces mutations est encore trop réduite pour permettre à la majorité des ménages de bénéficier d’une véritable sécurité sur le plan alimentaire. Les montants des redevances payées par les usagers grands aménagements hydro-agricoles ne sont pas suffisants pour assurer leur gestion durable (Baron et al., 2010). L’agriculture pluviale reste dominante et est en majorité extensive et manuelle. La plus grande partie des ménages a de faibles capacités de production et cultive des superficies réduites dont la fertilité diminue à cause de leur surexploitation et de l’érosion. Seulement une minorité d’exploitations de plus grande taille, mieux équipées et disposant de plus d’actifs et d’animaux, parvient à l’autosuffisance et a des pratiques qui permettent une préservation des sols.

La contribution des femmes aux mutations n’est pas suffisamment reconnue

9Les jeunes et les femmes jouent un rôle extrêmement important dans les mutations qui interviennent pour réduire les contraintes environnementales et l’insécurité alimentaire. Mais la reconnaissance dont ils bénéficient est inégale. L’augmentation des migrations masculines, à la suite des crises climatiques et du déficit des productions céréalières pluviales, a entraîné un accroissement du rôle des femmes dans la subsistance. Elles se sont beaucoup impliquées dans des activités de restauration des sols, de développement du maraîchage. Certaines cultures comme le sésame, perçues comme mineures et réservées aux femmes, connaissent une forte expansion grâce à l’effort d’organisation des productrices (Alhassoumi, 2012). Ces changements ainsi que l’évolution des politiques de développement et l’instauration d’un volet « Genre » dans de nombreux programmes ont contribué à l’évolution du regard sur les activités des femmes. Les positions des femmes se sont améliorées dans la famille, dans l’exploitation agricole et dans les espaces ruraux. Mais, du fait de la persistance de certaines représentations et contraintes, elles continuent à subir des discriminations dans plusieurs domaines. Fréquemment, les femmes ne sont pas considérées comme des productrices à part entière. Les tâches importantes qu’elles exercent dans le domaine des productions vivrières sont encore souvent perçues comme le prolongement d’activités domestiques liées à leur statut (Bonnassieux, 2014). Bien que dans certaines zones, suite à l’action de groupements féminins et de courants islamiques réformateurs, un meilleur accès à la terre leur soit garanti, dans la majorité des cas, les femmes sont très discriminées dans ce domaine. Leurs droits sur la propriété de certains champs, lors des héritages, fréquemment ne sont pas reconnus (Mounkaila, 2014). Au Sud de Maradi et de Zinder, dans les zones où la pression foncière est très forte, elles ne peuvent plus participer à la production agricole à cause du manque de terres (Diarra et Monimart, 2006).

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10Les sept contributions qui constituent ce dossier sur les stratégies et dynamiques face aux contraintes environnementales permettent de les documenter et d’en approfondir l’analyse aux échelles internationale, nationale et locale et au niveau du rôle de certains acteurs.

  • 1 3 N : « Les Nigériens nourrissent les Nigériens ».

11Youssoufou Hamadou Daouda fait une analyse diachronique des déficiences des politiques publiques agricoles au Niger face aux besoins alimentaires des populations. Il montre d’abord que les politiques marquées par l’omniprésence de l’État n’ont pas permis de faire face aux graves déséquilibres alimentaires causés par les crises climatiques et la stagnation des systèmes de production. Celles qui ont été menées sous la Première République au cours de la période 1960-1973, caractérisées par la prépondérance des cultures de l’exportation, arachide principalement, se sont situées dans la continuité des politiques agricoles coloniales et n’ont pas amélioré la situation des populations dans un contexte de dégradation des termes de l’échange. Le fait qu’elles n’aient pas fait de la progression des cultures vivrières un objectif prioritaire a été un des facteurs de l’atroce crise alimentaire survenue à la suite de la sécheresse de 1973. Pour faire face aux pénuries alimentaires, le régime militaire, arrivé au pouvoir en 1974, a mis en œuvre une stratégie axée sur l’autosuffisance alimentaire, fondée sur le développement de la production céréalière, des cultures irriguées et de la reconstitution du cheptel. Les résultats ont été mitigés, les paysans éprouvant des difficultés à répondre à la demande en vivres dans un contexte de fort accroissement de la population, d’augmentation de la pression sur les ressources naturelles et de la monétarisation croissante des échanges. L’option de sécurité alimentaire privilégiée à partir de la mise en place, en 1986, des mesures d’ajustement structurel n’a pas résolu les problèmes. La place prépondérante conférée aux échanges dans l’approvisionnement des populations a entraîné une réduction du rôle de la production familiale dans la subsistance des populations. Les pratiques spéculatives des commerçants ont réduit la capacité des paysans à se procurer de la nourriture. Pour remédier aux insuffisances de ces politiques, dans les années 2000, un lien a été établi entre les problèmes alimentaires et la réduction de la pauvreté, avec la mise en œuvre par les différents intervenants d’actions plus ciblées pour améliorer la situation des plus démunis. Mais, la multiplication des actions humanitaires non coordonnées a affaibli le rôle de l’État dans la gestion des politiques alimentaires comme cela est apparu lors de la crise de 2005. Afin de faire face aux déséquilibres, un nouveau programme « Initiative 3 N1 » a été mis en place par le président de la République élu en 2011. Mais selon l’auteur de cet article, il est l’expression d’une politique souverainiste sur le plan alimentaire qui vise à asseoir l’autorité de l’État par rapport aux bailleurs de fonds pour recueillir l’adhésion des populations. La place de l’action publique est surévaluée et l’accent n’est pas suffisamment mis sur le développement de l’agriculture paysanne à travers le développement de méthodes et d’outils permettant une meilleure productivité et un accès au marché.

12Dans sa contribution sur les relations entre exode rural, urbanisation et sécurité privée à Niamey, Hamadou Issaka nous montre que les migrations provoquées par les différentes sécheresses sont un des facteurs majeurs de la croissance de Niamey depuis sa création. Elles ont exercé un rôle considérable dans l’augmentation de la population passée de 33 816 habitants en 1960 à 1 222 066 en 2010. L’installation de beaucoup de migrants dans des espaces à la périphérie dépourvus d’équipements et les lotissements massifs opérés par les autorités et des acteurs privés ont entraîné un triplement de la superficie de Niamey entre 1984 et 2012. À partir des années 1990, la montée du chômage et de l’instabilité politique dans un contexte de crise économique et de croissance urbaine non maîtrisée a provoqué une progression de la criminalité. Alors que les vols, les agressions et crimes étaient auparavant nettement plus réduits que dans les autres capitales de l’Afrique de l’Ouest, ils se sont multipliés. Le sentiment d’insécurité qui s’est créé a favorisé la création de structures privées de sécurité. Les premières ont été des milices formées par des jeunes avec l’appui des chefs de quartier. Mais, les excès qu’elles ont commis ont entraîné l’émergence et la multiplication d’agences privées de sécurité de tailles très inégales. Leur personnel est composé en large partie de migrants sans qualification, qui reçoivent une formation très sommaire après leur recrutement. C’est un moyen pour eux d’accéder à un salaire fixe dans un contexte où le chômage est élevé et où les perspectives d’activités rémunératrices dans le secteur informel sont limitées. Mais à cause du niveau très bas des salaires et de la précarité des conditions d’emploi, l’activité de vigile n’est pas perçue par la plupart des jeunes hommes qui l’exercent comme un métier d’avenir. Pour subsister, beaucoup sont contraints d’exercer des petites activités complémentaires. La diversification des structures de sécurité est favorisée aussi par l’islamisation croissante de la société. Les associations islamiques ont recours à des jeunes très disciplinés qui partagent leurs valeurs pour assurer la sécurité de leurs manifestations. Cette prolifération des acteurs de la sécurité pose question à cause des dérives qu’elle peut générer dans un contexte marqué par l’accentuation de la précarité économique et sociale, la progression de courants islamiques radicaux et la montée des antagonismes entre factions politiques rivales.

13Hamani Abdousalami met en évidence le rôle d’Agadez dans les migrations transsahariennes et analyse leurs contributions à la diversification des activités dans la ville. Située aux portes du désert, sur les routes de l’Algérie et de la Libye, Agadez est devenue depuis les années 1990 un lieu de passage incontournable pour les Subsahariens qui tentent d’aller en plusieurs étapes dans ces pays et en Europe. Ce positionnement sur un axe migratoire important a contribué à l’expansion économique de la ville et à son extension spatiale après une période de déclin liée aux rébellions touarègues et au manque de soutien au développement du Nord du pays. Le développement d’Agadez attire de nombreux migrants venus des campagnes pendant la saison sèche pour trouver un travail et subsister. La migration de transit procure des revenus, souvent substantiels, aux différents acteurs qui participent à un système qui vise à contrôler et exploiter les migrants. Une partie d’entre eux sont des acteurs des structures étatiques : douaniers, policiers, agents des services consulaires de la Lybie et de l’Algérie. D’autres relèvent du secteur privé formel et associatif : agences de courtage, centres de transfert d’argent, télécentres, commerces, ONG. Beaucoup appartiennent au secteur informel : passeurs, logeurs, rabatteurs, guides, vendeurs ambulants. Parmi, ces derniers, les plus en vue sont d’anciens migrants nigériens et étrangers qui ont une bonne maîtrise des filières migratoires et exercent la fonction de logeurs. À leur arrivée, les ressortissants des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale sont répartis dans des « ghettos » constitués en fonction de leurs différentes nationalités. Les migrants nigériens sont dispersés en ville chez des ressortissants de leurs villages d’origine. Les Touaregs et Toubous sont les acteurs incontournables du transport des migrants à travers le Sahara en raison de leur connaissance de la région. L’asymétrie des rapports entre les migrants et les acteurs qui participent à leur hébergement et à l’organisation de leurs déplacements entraîne de nombreux abus. Les acteurs étatiques, privés et informels, du système migratoire ont des rapports à la fois tendus et complices. L’obtention de documents pour voyager est entourée de corruption, parce que beaucoup de migrants ne disposent pas de pièces en règle. Seulement, une partie des migrants passe par le canal des agences de transport, des gares routières pour voyager. Les autres évitent les contrôles et embarquent de façon clandestine au niveau des ghettos où ils sont contraints de payer des tarifs élevés pour partir avec des transporteurs non reconnus. L’importance des départs en fraude favorise le racket.

14En évoquant les impacts économiques et sociaux de la pénétration de la téléphonie au Niger, Abdou Bontianti montre le rôle important que cette innovation exerce dans la réduction des inégalités spatiales et territoriales et de la pauvreté. À partir du cas des quartiers précaires de Niamey, où la grande majorité de la population est en dessous du seuil de pauvreté et plus des deux-tiers des ménages ont un téléphone portable, les facteurs de l’appropriation de cet outil dans la capitale sont analysés. Sur le plan économique, le téléphone portable facilite l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en permettant aux usagers de contacter facilement les vendeurs d’eau ambulants et les éboueurs. Les comptes créés par plusieurs opérateurs de téléphonie réduisent les déplacements et les dépenses pour le paiement des factures de téléphone et d’eau. Le recours à ces comptes restreint la circulation des billets de banques et les risques de vols. Dans les périphéries urbaines en voie d’urbanisation, où il est fréquent qu’une même parcelle soit vendue à plusieurs demandeurs, l’affichage du numéro du téléphone de l’acquéreur contribue à la régulation des rapports fonciers. Enfin, en plus des emplois salariés créés par les opérateurs, les micro-activités de vente et de réparation de téléphone, de cartes prépayées procurent un revenu à de nombreux jeunes dans les quartiers centraux et périphériques. Au niveau social, la téléphonie mobile permet de faire face aux contraintes liées à un étalement urbain croissant. Les familles dont les membres sont dispersés dans des quartiers éloignés sont informées dans des délais très brefs des événements familiaux qui exercent un rôle décisif dans le maintien de leurs liens. Les élèves élargissent leurs réseaux relationnels en participant à des forums de discussion dans le cadre de formules à bas prix conçues pour faciliter les échanges. Lorsque des catastrophes se produisent, les chaînes de solidarité se constituent rapidement pour faire face aux épreuves. Au-delà du cas de Niamey, le téléphone mobile exerce un rôle important dans le rapprochement de territoires éloignés et la réduction des inégalités dues à l’asymétrie de l’information entre les acteurs de certaines filières. L’accès à des informations sur le niveau des prix sur les marchés rend les producteurs moins dépendants des intermédiaires dans la fixation des prix de vente de leurs produits. Grâce au téléphone aussi, les migrants installés à l’étranger peuvent fournir dans des délais très courts des aides financières aux parents pour se procurer des vivres lors des périodes de sécheresse ou de soudure. En conclusion Abdou Bontianti fait remarquer que les capacités des opérateurs et du système néolibéral à s’insérer dans une économie hybride, où la grande majorité des citadins travaille dans le secteur informel, ont beaucoup contribué à la diffusion du téléphone portable. Les formules élaborées pour minimiser les dépenses d’une population en majorité pauvre témoignent de leurs capacités d’adaptation. Ramatou Hassane analyse les facteurs de la diffusion de la pomme de terre dans une commune de l’Ouest du Niger, l’Imanan, et ses différents impacts. Sa contribution s’inscrit dans le cadre des travaux qui portent sur l’expansion des productions qui font l’objet d’une forte demande sur les marchés et contribuent, à travers les revenus qu’elles procurent, à la réduction de l’insécurité alimentaire. Depuis les années 1990, la culture de la pomme de terre s’est diffusée dans les différents types d’exploitation de l’Imanan. De simple culture d’appoint dans les années 1960 et 1970, elle s’est imposée dans les systèmes de production et occupe une place prépondérante parmi les spéculations maraîchères. Des facteurs diversifiés sont à l’origine de son expansion : crises alimentaires liées à l’irrégularité de la pluviométrie, rentabilité supérieure aux cultures pluviales dans un contexte de pressions démographique et foncière, appui des projets de développement et des ONG, actions des organisations de maraîchers, accroissement de l’usage de motopompes à coût réduit en provenance du Nigeria. La proximité de Niamey, qui constitue le principal bassin de consommation, a exercé un rôle décisif dans le développement de cette culture du fait de l’importance de la demande et des crédits fournis par les commerçants de la capitale pour l’achat des intrants nécessaires à cette production. Du fait de sa rentabilité, la culture de la pomme de terre intéresse les jeunes, les femmes, des citadins originaires de l’Imanan et des commerçants qui ont des liens avec les producteurs locaux. L’implantation d’acteurs disposant de moyens importants accroît la pression foncière. La contribution de la pomme de terre à la sécurité alimentaire se manifeste par plusieurs apports. Les revenus de sa vente sont utilisés en premier lieu pour acheter des vivres sur les marchés. Elle procure des revenus aux paysans pauvres employés comme salariés chez les grands producteurs de pommes de terre. Une partie de la production est consommée localement et participe à la diversification des régimes alimentaires. Les ressources qu’elle fournit sont utilisées aussi pour améliorer l’équipement des exploitations, acheter du bétail et prendre en charge des dépenses sociales, le mariage notamment. La situation des acteurs en position d’infériorité, cadets sociaux, femmes, paysans d’ascendance servile, qui s’investissent dans la production des pommes de terre, s’améliore. Son développement entraîne une réduction des migrations des jeunes à l’extérieur.

15Sandrine Vaucelle examine les liens entre l’aménagement du bassin du fleuve Niger et l’évolution de sa gouvernance dans une perspective de développement durable et à une période de grande vulnérabilité climatique. La dimension de la zone concernée est considérable avec la prise en compte des eaux de surface et souterraines, elle concerne 11 États, recouvre 2,1 millions de km2, a une population d’environ 112 millions d’habitants, qui croît à un rythme de 3 % par an. Les besoins alimentaires et en électricité y sont très importants. Dès l’époque coloniale, la réflexion sur l’aménagement du Bassin du fleuve Niger a donné lieu à la réalisation de programmes de grande envergure dans le cadre de l’Office du Niger au Mali pour promouvoir les cultures irriguées. Mais, c’est seulement dans les années 1960 qu’ont été élaborés les fondements d’une gestion intégrée de l’ensemble du Bassin. Suite à la mise en place en 1980 d’une instance commune, l’ABN, l’Autorité pour le Bassin du Niger, rassemblant les représentants des États, les principes et les modes de gestion ont évolué avec l’appui de la coopération internationale pour faire du bassin du Niger un espace commun de développement. Des grandes infrastructures (barrages, aménagements hydro-agricoles) ont été réalisées et sont en cours d’implantation pour accroître la fourniture d’électricité et développer l’agriculture irriguée. Des actions sont mises en œuvre et prévues pour réduire le stress hydrique, préserver les écosystèmes et la faune. Selon Sandrine Vaucelle, les acteurs de l’aménagement du Bassin du fleuve Niger sont confrontés à plusieurs défis pour pérenniser et approfondir leurs actions. Sur le plan économique, pour parvenir à un financement autonome et durable des activités, compte tenu du montant limité des contributions des États concernés par l’aménagement, il est nécessaire de mobiliser des fonds à l’échelle internationale et de répartir les coûts entre les usagers de l’eau. Au niveau organisationnel, il faut approfondir la coopération régionale pour concevoir des modèles de gestion adaptés à la spécificité des situations des pays, partager les informations indispensables à la prise de décision et limiter les concurrences entre projets et États qui fragilisent la gouvernance du Bassin. Sur le plan politique, le rôle de la société civile doit être accru pour une diffusion des principes de gestion intégrée. Pour aller dans cette direction, il faut valoriser les compétences endogènes et surmonter différents obstacles, notamment le taux élevé d’analphabétisme et les écarts de genre. Enfin, faire face à ces différents défis, nécessite de prendre des mesures tenant compte des interactions qui existent entre eux.

16Tidjani Alou, Mossi Maïga et Aminatou Hainikoye mettent en évidence le décalage entre les droits des femmes et leur effectivité à travers l’analyse de leur situation et de leur accès à l’eau sur les périmètres irrigués. Le Niger a ratifié les principales conventions internationales favorables à la promotion des femmes. Un cadre juridique a été élaboré au niveau national qui doit contribuer à l’intégration de la femme dans toutes les actions de développement. Une place importante est accordée au genre dans les stratégies de réduction de la pauvreté et dans l’Initiative « 3 N » pour la sécurité alimentaire et le développement agricole durable. Mais, la mise en œuvre de ces mesures souffre de nombreuses insuffisances sur les périmètres irrigués. La transformation du cadre juridique vers plus d’équité entre les hommes ne s’est pas accompagnée d’une réduction des inégalités entre ceux-ci. Les disparités se sont même accrues dans certains domaines. Seulement 3 % des femmes sont propriétaires de leurs parcelles. Les critères d’attribution des parcelles favorisent les hommes, parce qu’ils sont considérés comme les chefs de ménage. Les femmes sont marginalisées dans la production et les bénéfices de la production. Elles sont éloignées des sources d’eau, ont des difficultés à certaines heures du fait des contraintes familiales qui les obligent à rester au domicile. Pour irriguer et effectuer des travaux requérant un effort physique important, elles ne disposent pas de ressources financières suffisantes pour embaucher de la main-d’œuvre salariée. Elles ont plus difficilement accès aux intrants que les hommes. Dans la mesure où elles ne peuvent pas effectuer directement certains travaux et font appel à une main-d’œuvre salariée pour les réaliser, leurs charges de production sont plus élevées que celles des hommes et leurs bénéfices plus réduits. Les discriminations dont sont victimes les femmes sont liées aux représentations sociales dominantes. La culture du riz, à cause de sa pénibilité, est considérée comme une activité essentiellement masculine. Les activités réservées aux femmes sont les tâches domestiques et le maraîchage, perçu comme moins pénible que l’exploitation d’une parcelle rizicole.

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Notes

1 3 N : « Les Nigériens nourrissent les Nigériens ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Bonnassieux, « Introduction : stratégies et dynamiques au Niger face aux contraintes environnementales »Les Cahiers d’Outre-Mer, 270 | 2015, 101-113.

Référence électronique

Alain Bonnassieux, « Introduction : stratégies et dynamiques au Niger face aux contraintes environnementales »Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 270 | Avril-Juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/com/7380 ; DOI : https://doi.org/10.4000/com.7380

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